À l’occasion de son Assemblée Générale 2019, le CAUE27 a publié « L’Eure, territoire en transition« , un recueil de témoignages prospectifs qui imagine le département en 2027 avec celles et ceux qui participent à sa transformation. Découvrez ci-dessous un extrait revenant sur l’aménagement sur mesure proposé par le bureau d’études « La Fabrique du lieu ».

Nicolas Tinet et Laurence Renard – bureau d’études « La Fabrique du lieu »

Nous sommes Eliot Canstin et Andréa Renceurel, territorialistes conseil au BDT (Ndlr : Bureau Départemental de la Transition) de l’Eure. Avant la loi TICTAC, nous étions urbaniste et paysagiste. Désormais, nous sommes ravis d’être territorialistes conseil dans l’Eure car c’est dans ce département, plus particulièrement dans la vallée de la Lévrière, que tout a commencé pour nous. C’est vraiment le projet qui nous a fait basculer dans une autre manière de faire de l’aménagement du territoire. Jusqu’à la Lévrière, nous ramions un peu pour faire comprendre aux différents maîtres d’ouvrage que l’on pouvait faire de l’urbanisme ou de l’aménagement différemment, sur mesure. Le projet de la vallée de la Lévrière nous a vraiment donné confiance en nous et nous a montré que c’’était justement possible de faire différemment.

Sur la méthode déjà. Mesdames, Messieurs les élus, pour beaucoup, vous aviez tendance à faire des cahiers des charges très précis avec une méthode très balisée. Il fallait faire des diagnostics, des stratégies, des programmes d’action, il y avait des comités de pilotage, avec des élus, des techniciens. La Lévrière est le premier projet où nous avons pu dire « Non » à une méthode préétablie. En fait, cette méthode, nous l’avons inventée au fur et à mesure et nous nous sommes aidés d’autres personnes. Nous n’avons pas parlé qu’avec des élus et des techniciens, pour qui nous avons le plus grand respect bien sûr, mais nous avons essayé d’aller voir d’autres personnes, des habitants, des agriculteurs, des artisans, bref, toutes ces personnes qui font aussi le territoire mais que nous n’avions pas trop l’occasion d’entendre jusqu’alors.

Quand nous avons commencé à travailler dans la Lévrière, nous nous sommes vraiment posé plein de questions. Pourquoi travailler avec des chercheurs ? Billy Droncel et César Palfner ont croisé notre route à ce moment-là. Nous nous sommes dit « Mais qui sont ces hurluberlus ? Comment allons-nous faire pour travailler avec eux ? ». Nous avons aussi travaillé avec des artistes, vous imaginez ? Nous qui sommes tout de même porteurs d’un savoir formel, il faut travailler avec des artistes ? Comment on va faire ça ? Et comment allons-nous concevoir un projet sans un maître d’ouvrage incarné par un maire mais plutôt dans un collectif où les acteurs du territoire sont au même niveau que nous ?

Puis, nous nous sommes immergés dans le territoire. Laurence est devenue Andréa Runcerel et Nicolas, Eliot Canstin, tous deux territorialistes conseils. L’expert s’est métamorphosé, il est devenu accompagnateur et animateur. Derrière le mot « animateur », on a tout de suite en tête l’image des Bronzés et du Club Med’. Mais ce n’est pas du tout cela. L’animateur, c’est quelqu’un qui écoute, qui conseille, qui oriente parfois mais qui se garde surtout de décider à la place des autres. De la même façon, l’animateur n’a pas vocation à laisser une empreinte, comme les grands paysagistes ou les grands urbanistes, mais plutôt à faire en sorte d’impulser une dynamique sur le territoire qui perdure, contrairement à son nom.

Aujourd’hui, en 2027 quand nous revenons dans la Lévrière, nous sommes heureux de retrouver nos amis Nathalie, Laurence, Olivier, Anne, Lucian. Nous prenons du bon temps. Cela fait déjà quelques années que Lucian a ouvert son bar/restaurant/gîte/auberge. Ça fonctionne à merveille ! Le midi, il y a tous les ouvriers du coin, le soir, les habitants et les touristes de la véloroute Paris-Londres qui s’y arrêtent. Il sert des produits locaux issus de la coopérative agricole créée en 2020. Aujourd’hui, on vit bien dans la Lévrière. Il n’y a peut-être toujours pas d’hôpital ou de grandes usines, mais de nouveaux réseaux de solidarité se sont créés, les habitants échangent, des liens intergénérationnels émergent et en font un territoire qui vit bien. Le moulin de Martagny est enfin équipé d’une turbine qui permet d’alimenter tous les foyers en électricité et notamment la nouvelle salle des fêtes de Mainneville, faite avec des matériaux locaux par des artisans locaux.

Les anciens urbanistes et paysagistes que nous étions ne pensons pas avoir changé le monde, nous avons juste donné des clés et essayé de faire bouger un peu les lignes, c’est ça notre nouveau métier. Après, ce sont les gens du territoire qui ont fait le reste, ce sont eux qui se sont emparés du projet et qui l’ont fait leur. Alors, on ne se souviendra sûrement pas de nous, nous ne serons pas les nouveaux Jean Nouvel et Michel Desvigne. Nous n’aurons sûrement pas notre page Wikipedia – ce qui est une vraie frustration pour moi parce que c’est un rêve depuis toujours – mais après tout, que vaut une page Wikipédia face à une bonne côte de bœuf de Nathalie servie dans le restaurant de Lucian ?

Après le beau projet de la Lévrière, qui a été précurseur, il y en a eu d’autres. Nous sommes repartis et avons découvert d’autres territoires, d’autres personnes, d’autres caractères. Nous espérons surtout que nous n’aurons plus jamais à travailler comme avant parce que, si nous devions faire marche arrière, nous préfèrerions aller tisser de la laine ou planter des petits pois.

En fait, nous sommes revenus dans le département de l’Eure pour y être territorialistes. Les métiers ont évolué, les écoles ne forment plus d’urbanistes, de paysagistes, d’architectes ou de spécialités aussi fermées. Nous travaillons tous sur la transition. Je ne sais pas si vous vous souvenez en 2019, lors de l’AG du CAUE27, il avait été évoqué de trouver de nouveaux locaux pour les futurs territorialistes. Et bien finalement, cela n’a pas marché et il a été décidé de faire autrement. On a tous été équipés de vélos électriques, on nous a tous attribué un morceau du département et nos locaux, ce sont la mairie d’un village, l’école d’un autre, le hangar agricole d’un agriculteur ou une bibliothèque. Nous allons au plus proche des habitants et des territoires pour travailler.

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